Immigration : le MEDEF parle la même langue que l'extrême gauche
De tout temps, les peuples se sont déplacés, les uns envahissant les autres, certains s’assimilant aux terres conquises, d’autres s’en faisant chasser. Les actuelles immigrations massives paraissent obéir à une autre logique…
Ces migrations relèvent en effet d’une logique purement économique : intériorisation des seules valeurs marchandes et mise en place d’un système globalisé. Elles sont en outre parfaitement conformes à l’esprit du capitalisme. Au XIXe siècle, Adam Smith expliquait déjà qu’un marchand n’a d’autre patrie que l’endroit où il peut faire son plus gros bénéfice. Son principe relevant de l’illimitation, c’est-à-dire du « toujours plus », le capitalisme porte en lui l’impossibilité de demeurer dans l’en-deçà d’une frontière. Il aspire à supprimer les frontières. C’est le principe même du libre-échange : « laisser faire, laisser passer ». La libre circulation des marchandises et des capitaux implique évidemment aussi celle des hommes.
Vu de « droite », les responsables de ces flux migratoires exponentiels seraient des gens de gauche ou d’extrême gauche. Ce raisonnement ne serait-il pas un peu hâtif ? Et notre grand patronat n’y serait-il pas un peu pour quelque chose ?
Ce raisonnement n’est pas seulement hâtif, il est aussi remarquablement stupide. Lorsqu’en 1846 Auguste Mimerel, filateur à Roubaix, crée la première organisation patronale française, les deux grands principes dont il se réclame sont les suivants : « 1) Il faut qu’une permanente menace de chômage pèse sur l’ouvrier pour contenir ses revendications. 2) Il faut laisser entrer en France la main-d’œuvre étrangère pour contenir le niveau des salaires. » En 1924, une Société générale d’immigration (SGI) fut même créée à l’initiative du Comité des houillères et des gros exploitants agricoles du Nord-Est. Elle ouvrit des bureaux de placement en Europe, qui fonctionnèrent comme une pompe aspirante. Dans les années 1950, le même système fut mis en place dans les pays du Maghreb. En 1973, peu de temps avant sa mort, le président Pompidou reconnaissait avoir ouvert les vannes de l’immigration à la demande d’un certain nombre de grands patrons, tel Francis Bouygues, désireux de bénéficier d’une main-d’œuvre docile, bon marché, dépourvue de conscience de classe et de toute tradition de luttes sociales. Ces grands patrons, soulignait-il, en « veulent toujours plus ».
Quarante ans plus tard, rien n’a changé. Quand il s’agit d’évoquer les « bienfaits » de la mondialisation et de l’immigration, le MEDEF et la Commission européenne parlent la même langue que l’extrême gauche. Tous voient dans le marché mondial le cadre naturel d’une « citoyenneté mondiale » conçue comme condition première d’un « nomadisme » libérateur. Réseaux mafieux, passeurs d’hommes et de marchandises, grands patrons, militants « humanitaires », employeurs « au noir » : tous militent pour l’abolition des frontières. Olivier Besancenot, Laurence Parisot : même combat ! Par conséquent, qui critique l’immigration mais ne dit rien du capitalisme ferait mieux de se taire.
Entre théorie du « Grand Remplacement » (Renaud Camus) et « nomadisation du monde » (Jacques Attali), quel constat dresser de ce phénomène ? On devine la logique des esclaves (aller trouver la chimère d’un monde meilleur) ; mais quelle peut être celle de nos nouveaux esclavagistes ?
Elle est assez simple. Une immigration peu qualifiée et faiblement syndiquée permet aux employeurs de se soustraire aux contraintes croissantes du droit du travail afin d’exercer une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs français. C’est bien pourquoi le capitalisme cherche à mettre en concurrence la force de travail autochtone, non seulement avec les mains-d’œuvre misérables du tiers-monde, mais avec ces armées de réserve salariales que sont les populations issues de l’immigration. Historiquement parlant, quand il y a pénurie de main-d’œuvre dans un secteur, soit on augmente les salaires, soit on fait appel à la main-d’œuvre étrangère. C’est cette dernière option qui a constamment été privilégiée par le CNPF, puis par le MEDEF. Choix témoignant d’une volonté de profits à court terme, qui a retardé d’autant l’amélioration des outils de production et l’innovation en matière industrielle. Le patronat veut de l’immigration continue pour alimenter des reculs sociaux continus. Le résultat est que l’immigration rapporte au secteur privé beaucoup plus qu’elle ne lui coûte, alors qu’elle coûte au secteur public beaucoup plus qu’elle ne lui rapporte. Les immigrés, aujourd’hui, constituent plus que jamais l’armée de réserve du capital.
À ce propos, que vous inspire l’actuelle polémique sur le travail dominical ? Avancée en termes de compétitivité ou régression sociale ? Faut-il vivre pour travailler ou travailler pour vivre ?
Il y a déjà beaucoup de gens qui travaillent le dimanche. Je suis tout à fait hostile à ce que l’on ajoute des dérogations supplémentaires à celles qui existent déjà. Et cela pour deux raisons. La première est que le « mieux-disant » économique associé à la déréglementation du travail le dimanche sera à terme synonyme de « moins-disant » social. Cette déréglementation accentuera encore la tendance à la flexibilité et à la précarité du travail. Les grands magasins qui réclament l’ouverture dominicale de leurs enseignes savent évidemment qu’ils y trouveront leur intérêt. Ils s’appliquent à faire croire aux travailleurs que c’est aussi le leur. On connaît le slogan : « Travailler plus pour gagner plus ». En réalité, au lieu de revendiquer des augmentations de salaire, le refus des contrats précaires et l’amélioration des conditions de travail, on travaillera plus pour se faire plus exploiter. Quand on entend Christophe Barbier, de L’Express, dénoncer le « respect stupide du droit », on comprend qu’à plus long terme, l’objectif est le démantèlement du Code du travail et la suppression des acquis sociaux.
La seconde raison est d’un ordre tout à fait différent. Ceux qui veulent nous faire croire que le dimanche est une sinistre invention qui entrave la maximisation de leurs profits rêvent d’une semaine où il n’y aurait que des jours comme les autres. Je crois au contraire que notre rapport à la temporalité exige qu’il y ait des jours différents, c’est-à-dire qu’il y ait dans l’existence des césures correspondant à des rythmes dans la succession des semaines et des mois. La suppression de la différence entre le dimanche et les autres jours de la semaine relève de la même volonté de supprimer partout les frontières et les limites faisant obstacle à la mise en place d’un grand marché planétaire homogène. Toujours l’idéologie du Même !
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 octobre 2013)